• Quatre « points clé » pour un scénario régional de transition énergétique

    L'association « Virage Énergie Centre Val de Loire », née en Janvier 2012, s’est fixé pour objectif l’écriture d’un scénario régional de transition énergétique permettant d’aller vers les 100% renouvelables en 2050. Virage Énergie se veut avant tout force de proposition, avec la volonté de regarder en face la faisabilité économique et sociale des propositions qu’elle avance (division par 2 des consommations d’énergie d’ici à 2050, division par 4 au minimum des Gaz à Effet de Serre, et sortie des énergies fossiles ou liées à des stocks de minéraux épuisables, nucléaire compris).

    A l’occasion de sa troisième assemblée générale qui s’est tenue à Tours le Samedi 1er février 2014, l’association a abordé quatre domaines qui lui semblent constituer des « points clé » du scénario en cours de construction.

    -1- La dépendance au pétrole : roulera-t-on encore en voiture en 2050 ?

    Aujourd’hui, le pétrole représente 46% de l’énergie finale que nous consommons en France, et, sans pétrole, dans notre système agricole actuel, nous n’aurions plus rien à manger !

    Benoît Thévard, spécialiste des questions de ressources pétrolières, a mis en évidence notre très forte dépendance aux fossiles et singulièrement au pétrole, pas seulement pour les transports et les déplacements, mais aussi pour l’agriculture, l’industrie, la santé etc.

    Comme nous sommes en train de passer le pic de la production pétrolière au niveau mondial et que l’énergie nécessaire pour extraire le pétrole est toujours plus importante, la disponibilité de la ressource est moins bonne, et le prix (hors effets de marché conjoncturels) ne peut qu’augmenter avec une grande volatilité.

    En région Centre, comme ailleurs, la réduction de la dépendance au pétrole et au gaz est donc un enjeu majeur….D’où les propositions qui suivent :

    Réfléchir au paysage de la production agricole de « l’après pétrole » (ou du pétrole cher) ;

    S’il ne s’agit pas de revenir à l’agriculture des années 60-70, celle ci peut constituer une bonne référence en termes de rapports entre la production alimentaire et la consommation d’énergie ; On peut imaginer des systèmes de production comportant moins de capital, moins d’énergie, plus de travail, des paysages avec davantage d’arbres (on en a besoin…), et aussi une production maraîchère et de jardinage proche de l’habitat, qui redonne un sens à l’expression « jardin de la France » (voir la partie « espaces précieux »). « réfléchir », ce n’est pas phosphorer dans l’abstrait, mais dessiner ces paysages agricoles, calculer ce qu’il faut investir pour les réaliser, réunir les acteurs concernés, en lien avec la dynamique « AFTERRES 2050 ».

    Préparer une « directive interrégionale des transports par voie ferrée »

     Il s’agit de planifier les étapes nécessaires pour aboutir rapidement à un train toutes les heures sur l’axe du Val de Loire, et des dessertes cadencées efficaces pour toutes les liaisons entre les villes de la région et des régions voisines. La poursuite de la décentralisation devrait permettre de donner un sens juridique, pas encore existant aujourd’hui, à cette notion de « directive régionale (ou interrégionale) d’aménagement.

    Rouler moins, mais rouler mieux… en diminuant les besoins de mobilité…

    Par le développement du télétravail, des visioconférences, des centres de ressources dématérialisés, et la présence de services de proximité plus nombreux (commerces, garde d’enfants, soins médicaux, démarches administratives etc.)

    … et en optimisant le remplissage des véhicules, par le développement du covoiturage, des transports doux (vélo en particulier), voire la gratuité des transports en commun dans les agglomérations. Donc… on roulera peut être encore en voiture en 2050, mais dans des contextes adaptés (zones desservies par les autres transports), moins vite, moins souvent, pour moins de kilomètres annuels, et avec d’autres sources ou vecteurs d’énergie tels que le « GRV » (Gaz Renouvelable Véhicules) ou l’électricité renouvelable…et pas seulement avec du pétrole.

    -2- Pourquoi et comment « massifier » la réhabilitation thermique des logements existants ?

    On sait que les secteurs résidentiel et tertiaire représentent plus de 40% de la consommation totale d’énergie, tant en France qu’en région Centre, et que la mise aux normes thermiques du parc des logements et des locaux tertiaires existants est donc l’enjeu majeur de tout scénario de transition énergétique. Mais, selon Emmanuel Brochard, architecte urbaniste, ancien directeur du CAUE du Loir et Cher, les dispositifs d’encouragement sont insuffisants, et les objectifs successifs ne sont pas atteints. Alors, comment en sortir ?

     Aujourd’hui, pourquoi un particulier ferait il des travaux complets de mise aux normes chez lui ?

    • Il ne sait pas combien cela va lui couter,
    • Il ne sait pas quels travaux faire,
    • Il ne sait pas qui faire travailler, à qui passer commande, et comment coordonner ses interlocuteurs…

     Aujourd’hui, pourquoi un artisan se lancerait il sur le marché de la performance énergétique des bâtiments ?

    •  Il ne connaît pas le marché,
    • Il ne connaît pas les qualifications exigées et à venir,
    • Il ne maîtrise pas les partenariats à établir,
    • Et, donc, il ne maîtrise pas les coûts…

     Aujourd’hui, pourquoi le marché de la rénovation thermique est il si peu actif ?

    • • Parce que les dispositifs actuels sont focalisés sur l’organisation de la demande sans accompagnement autre que financier,
    • • Parce que l’offre n’est pas structurée : offre d’intervention et maitrise des coûts,
    • • Parce que le marché est toujours centré sur l’habitat individuel qui est éclaté et aléatoire, et ne permet pas la mise en place de process à partir d’interventions lourdes (quantitativement et qualitativement),
    • • Parce que les collectivités ne savent pas trop comment mettre en place des stratégies d’action autres que l’utilisation de dispositifs et de subventions existantes, alors que la rénovation du parc existant (pavillons et centre anciens) est un enjeu d’intervention global pour les communes.

    Le déblocage de cette situation passe selon nous par plusieurs familles de mesures dans l’idée d’une recherche de massification :

     Massifier la formation des artisans pour qu’ils deviennent des interlocuteurs « généralistes », et qu’ils puissent coordonner leurs savoirs et leurs interventions

    Le marché de la réhabilitation thermique en habitat existant implique presque toujours l’intervention de plusieurs corps de métier (couverture, isolation, cloisons, plomberie…). La tradition encore trop souvent présente des spécialistes pointus qui refusent de s’intéresser à l’intervention des autres pourrait laisser place, notamment chez les jeunes, à des chantiers école mettant l’accent sur la logique des processus, vue à travers des cas concrets et en lien notamment avec les « conseillers prescripteurs qualifiés » des espaces info énergie et des Maisons De l’Énergie.

    Cet effort de coordination permettra de structurer le marché pour, à partir d’une commande plus importante, organiser les professionnels de la filière, maîtriser les process et les coûts et impliquer les collectivités et le secteur bancaire.

    Massifier l’aide à la décision pour les particuliers par des conseils

    Des financements sans conseils génèrent de nombreux gaspillages, et … des conseils sans financements génèrent de nombreuses frustrations ! L’idée est donc :

    •   De faciliter l’accès à la commande à partir d’une meilleure connaissance du parc (les typologies notamment) et une maitrise des coûts,
    •   De faciliter l’accès à la commande par la mise en place d’une AMO (Assistance à la Maîtrise d’Ouvrage) efficace dans la définition de la commande, l’approche financière et le contrôle des travaux, entre autres par le biais de la création de postes de « conseillers prescripteurs qualifiés », au sein des Espaces info-énergie et des structures partenariales de « conseil » sur ces questions : CAUE (Conseils d’Architecture, d’urbanisme et d’Environnement) mais aussi MDE (Maisons De l’Énergie).....

     En conclusion, la recherche de massification est un des principaux leviers pour lever les freins relevés. Des dispositifs centrés sur la formation et l’accompagnement technique de groupements d’artisans peuvent être utilisés pour lancer le processus de dynamisation de la filière, tout en réfléchissant aux interventions plus globales de conseil aux collectivités et aux particuliers.

     -3- La gestion des « espaces précieux » aux abords des agglomérations

    A partir d’un cas réel « anonymé » en périphérie d’une ville de la Région Centre, présenté par Nadia Arbaoui, architecte-urbaniste, les participants ont pu mesurer le poids des contraintes de la circulation autoroutière sur l’économie, les fortes consommations d’espace induites par les activités logistiques, ainsi que la concurrence entre acteurs (entreprises, collectivités territoriales…) que ce caractère « précieux » entraine. Certaines communes « supports » de projets de développement envisagent ainsi le doublement de leur espace urbanisé (activités + habitat) en une quinzaine d’années…

    Quelles solutions pour faire mieux, et créer des emplois sans gaspiller l’espace au détriment de l’agriculture, du maraîchage et de la forêt, dans ces « espaces précieux » en périphérie des agglomérations, où la concurrence entre les usages du sol est forte ?

    Etablir des cartes des surfaces nécessaires à l’autonomie alimentaire des agglomérations

    C’est à dire, à raison d’un ordre de grandeur de 150m2 environ par habitant, combien d’hectares il faudrait pour que l’alimentation des habitants ne dépende plus de l’extérieur, et des transports lointains par camion de denrées alimentaires. Cette surface, théorique dans un premier temps, serait appelée à devenir concrète et localisée dans les SCOT (Schémas de Cohérence Territoriaux) et les PLU (Plans Locaux d’Urbanisme).

    Investir plus de matière grise sur les espaces les plus précieux

    Les espaces les plus précieux sont les espaces les mieux situés, où la concurrence est forte, et où l’activité agricole, le maraîchage et la forêt sont les plus menacés. Cet investissement en matière grise consisterait en élaboration de « cadres de projets » à moyen et long terme, susceptibles d’éclairer les avenirs possibles de ces secteurs. Des consultations, appels à projets, concours d’idées… devraient donc être lancés par les collectivités concernées, sur la base de dispositifs régionaux d’encouragement.

    Généraliser les documents d’urbanisme « facteur 4 »

    Il s’agit de documents d’urbanisme « compatibles Grenelle2 », permettant de réunir les conditions pour diviser par 4 les GES et stopper la consommation d’espace par l’urbanisation, à l’image du SCOT de l’agglomération de Tours.

    Concrétiser la création d’un Établissement Public Foncier par le Conseil Régional

    Cette création a déjà fait l’objet d’une longue réflexion au sein du CESER (Comité Économique, Social et Environnemental Régional). Il s’agit d’un outil de financement permettant aux collectivités de créer les réserves foncières nécessaires à la réalisation des projets. Sans un tel outil, (déjà existant dans plusieurs régions de notre pays) les communes, voire les agglomérations ont les plus grandes difficultés à lutter contre la spéculation foncière en achetant suffisamment à l’avance les terrains nécessaires pour les projets, qu’il s’agisse de projets de maintien ou développement de l’activité agricole, ou de projets d’urbanisme. Il convient désormais de passer au stade opérationnel

    …Toutefois, la création d’un EPF n’est pas suffisante en soi : elle implique que la politique foncière fasse l’objet d’une vraie coopération entre les acteurs d’un même territoire pour déterminer les priorités d’acquisitions…

    -4- le statut des sites nucléaires après fermeture des réacteurs

    Dominique Boutin, géographe et naturaliste, a présenté les trois évolutions possibles du nucléaire en région Centre, objectivées et « mises en scène » dans un rapport du CESER :

    • Le développement du nucléaire, avec le remplacement des réacteurs actuels par des « EPR » (type Flamanville), et la création d’une nouvelle centrale en amont de Belleville sur Loire ;
    • Une « hybridation » du nucléaire et des énergies renouvelables, conforme aux engagements du Président de la République visant à passer de 75% à 50% la part du nucléaire d’ici à 2025 ; ce qui implique la fermeture de certains sites, et le remplacement de certains réacteurs en fin de vie par des EPR ;
    • Une sortie progressive du nucléaire cohérente avec la division par 2 des consommations d’énergie et l’objectif « 100% renouvelables » en 2050 envisagé par le scénario national « Négawatt », solution qui a la préférence de l’association Virage Énergie.

    Avec un scénario régional de division par 2 des consommations toutes énergies confondues en 2050, on peut fermer progressivement les centrales de la Loire moyenne entre 2020 et 2035, au fur et à mesure de la baisse des consommations, de la montée des énergies renouvelables et de l’adaptation des réseaux (surtout électricité et gaz) à ces nouvelles énergies.

     Dans tous les cas, les réacteurs déjà arrêtés, parfois depuis longtemps (les « graphite gaz » de Chinon et Saint Laurent des Eaux) doivent être démantelés et les déchets correspondants affectés (lieu de destination et modalités de gestion).

    Dans tous les cas, les réacteurs actuellement en service devront tous être arrêtés, soit avant 2035 (référence Négawatt/Virage Énergie), soit avant 2050 (si leur durée de vie est prolongée à 60 ans).

    La question des méthodes à employer pour les démantèlements, le traitement des déchets et le devenir des sites doit donc être anticipée et réfléchie dès maintenant, et non pas repoussée vers l’avenir au motif que « 2050 c’est loin » et que « on verra bien le moment venu, car d’ici là les scientifiques auront trouvé des solutions nouvelles ».Virage Énergie propose donc de …

    Créer un groupe de travail régional officiel dédié à la réflexion sur les démantèlements en cours et à venir, outil technique ayant pour vocation de mettre au point des solutions techniques, mais aussi économiques et sociales (formation des agents chargés du démantèlement, reconversion du personnel vers le service public des énergies renouvelables etc.). ce groupe de travail devrait aussi comprendre des représentants de la société civile, car il s’agit d’un enjeu citoyen et pas seulement d’un enjeu technique et économique.

    Envisager une gestion locale des TFA (déchets de Très Faible Activité)

    Contrairement à des affirmations démenties par l’expérience (Brennilis, Chinon, St. Laurent…) le « retour à l’herbe » en une décennie après l’arrêt des réacteurs n’est pas envisageable. Donc, plutôt que d’évacuer les TFA vers un site dédié de l’ANDRA (dans l’Aube), pourquoi ne pas les conserver sur chaque site pendant les quelques dizaines d’années nécessaires à la disparition naturelle de leur radioactivité… ?.

    Prévoir d’investir les sommes nécessaires au remplacement des réacteurs actuels plutôt dans les économies d’énergie et les renouvelables

    L’idée est que pour réaliser un scénario de transition, il faut investir d’abord pour consommer moins ensuite . La création d’un EPR étant évaluée au moins à 5 milliards d’euros, la région Centre pourrait devenir pilote de la transition en affectant ces sommes à l’isolation des logements et des locaux d’activités, et au développement de nouvelles filières industrielles, qui permettront de réellement faire baisser les besoins d’énergie, qui pourront être couverts par les renouvelables.

     

    Votre avis ? parlons-en !

    Virage Énergie Centre-Val de Loire envisage d’intégrer les réflexions et propositions sur ces 4 « points clé » dans la construction du scénario régional de transition énergétique. Toutes vos interrogations et propositions sur le sujet sont bienvenues, et l’association répondra, dans la mesure de ses moyens, à vos courriers sur le sujet :

    virage.energie.cvl@gmail.com

    Virage Energie Centre-Val de Loire
    Maison des Associations, 46 ter rue Sainte Catherine, 45 000 ORLÉANS
    tél. 06 83 17 95 06


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